Ultras
Vecteurs d’émotions, de magie et de décibels, ils font parfois peur et sont souvent méconnus. Ils ne suivent pas les mêmes couleurs, ne chantent pas les mêmes hymnes, ne subissent pas les mêmes aléas mais font tous partie d’une seule et même caste. Cinq lettres pour des milliers de passionnés réunis sous l’appellation Ultra. Presque une famille, avec ses péripéties, histoire, générations et déchirements. Portrait du mouvement dans l’hexagone, avec un zoom spécial sur le cas épineux du Paris Saint-Germain.
Définition
Nous avons interrogé plusieurs personnes dans la rue, leur posant une seule et même question « que vous évoque un supporter ultra ? » Le constat est flagrant, les termes « bagarres », « violence », « hooligan », « problème », reviennent plus généralement que « capo », « ambiance », « passion » ou encore « valeurs ». « Tifos », « chants » et « fumigènes » sont en revanche quasiment plébiscités par les suiveurs de football.
Plus globalement, les sociologues du sport et Nicolas Hourcade en particulier, résument un ultra comme une personne qui reste debout tout le match, qui vient au stade pour chanter et encourager à fond son équipe. Les ultras se trouvent généralement dans les virages et ils supportent leur équipe d’une manière différente. L’ultra va chanter 90 minutes durant, il va animer le stade avec des slogans tifos, des banderoles, des drapeaux. Il vit également sa passion à l’extérieur, allant jusqu’à faire de grands sacrifices dans sa vie personnelle et professionnelle afin d’animer sa tribune ou organiser les déplacements.
Les groupes ultras sont financièrement indépendants du club qu’ils soutiennent. Ils s’autofinancent de différentes manières, comme la vente de stickers, produits dérivés (écharpes, t-shirt, drapeaux) ou magazines.
Pour Antoine Boutonnet, Commissaire chef de la Division de la lutte contre le hooliganisme (DNLH) interrogé en décembre 2015 par Foot365, la définition d’un ultra est la suivante : Les ultras sont des supporters qui aiment se retrouver en groupe pour encourager leur équipe, qui créent des animations, des tifos, chantent… C’est le douzième homme. Ils aiment être autonomes par rapport à leur club et à sa gouvernance. Ils rejettent le fair-play qu’ils considèrent comme une véritable hypocrisie puisqu’ils considèrent le football comme un affrontement entre deux camps. Ils veulent avoir leur esprit critique et pouvoir peser sur un certain nombre de décisions. Ils ne sont pas forcément adeptes de la violence mais sont prêts à en user pour défendre leur groupe envers et contre tout. Ils ont d’ailleurs des relations très ambiguës avec les actes de violence. Ça peut être de la violence verbale mais aussi physique. Ils se « chambrent » entre eux et cela peut déboucher malheureusement sur des bagarres.”
Histoire
Le mouvement ultra, d’origine italienne (années 1970), arrive en France au début des années 80. C’est à Marseille que germe la graine en 1984, se propageant ensuite à Nice (1985), Paris (1985) et Saint-Etienne (1986).
Certains, notamment une petite partie du Kop de Boulogne parisien (1985), s’inspirent des groupes de hooligans anglais, qui se sont rendus célèbres dès les années soixante.
Il faut différencier ultras et hooligans. Les seconds, de tradition anglaise, sont des groupes déstructurés, s’organisant au dernier moment parfois un verre de trop à la main. Ils se battent souvent pour affirmer une suprématie et leurs chants sont lancés spontanément sans « capo ».
Les ultras sont beaucoup plus organisés, hiérarchisés, dans leurs, actions ou animations. Ils disposent d’un vrai local, et s’investissent en tant que “militant”.
Lorsque le mouvement prend forme, les groupes s’inspirant du modèle italien essayent de se défaire de l’image d’une horde de barbares alcooliques et violents qui leur est étiquetée, notamment suite au drame du Heysel (1985, 39 supporters de la Juve décédés au stade du Heysel à Bruxelles, avant un match contre Liverpool) qui avait été rejeté sur le dos des fans anglais, sans que la piste de la négligence de l’organisation ne soit retenue.
Souvent, ce sont les clubs eux-mêmes qui prennent les devants, l’exemple le plus flagrant étant celui de l’Olympique de Marseille demandant -en 1986- au Commando Ultra de changer de nom pour « Ultras Marseille » (le groupe reprendra par la suite son appellation d’origine). D’autres clubs, comme Bordeaux à cette époque, décident de diaboliser les Ultras. Le président Bez avait ainsi dit qu’« il faut chasser les ultras », en réponse aux Ultramarines qui tentaient alors de se détacher du hooliganisme.
Finalement, les ultras commencent à s’implanter de manière durable, après quelques années troubles et des débuts contrastés.
Mais au début des années 2000, le mouvement ultra français est marqué par la violence de certains groupes. Ainsi, dans les tribunes du Parc des Princes, la rivalité entre Boulogne, les « Anciens » et Auteuil ne cesse de s’accroitre.
Les ultras de la capitale ont tout d’abord défrayé la chronique en 2008 et la dissolution de Boys , prononcée par Michelle Alliot-Marie -ministre de l’intérieur alors en vigueur- suite à la banderoles déployée face à Lens en finale de la Coupe de la Ligue.
Pourtant, un an auparavant, un grand pas vers une réduction des violences dans les stades avait été fait lorsque à l’initiative de ces même Boulogne Boys, s’était créé le CNS (Coordination Nationale des Supporters). Sa première action fût une banderole commune dans les différents stades français (“supporter n’est pas un crime”). Ce groupe s’étant rapidement éteint (désaccords, absence de groupes importants…), 24 groupes décidèrent de créer par la suite la Coordination Nationale des Ultras.
En 2008 donc, les Boulogne Boys sont dissous suite au tapage suscité par « la banderole de la honte ». Ceci entraîna plusieurs manifestations de soutien, notamment à Lens et Nice. Les groupes les plus influents ainsi que plusieurs sociologues du sport critiquèrent la dissolution, voyant ici un coup médiatique.
Les problèmes créés par les Ultras du Paris Saint Germain atteignent leur paroxysme en 2010, lorsque le 28 février Yann Lorence, membre du KOB est battu à mort par des membres d’Auteuil -pourtant eux aussi supporters du club de la capitale- lors d’une bagarre impliquant plusieurs centaines de personnes.
Ces problèmes internes de violence provoquent la création en mai 2010 du Plan Leproux (alors président du PSG). Des mesures extrêmes sont prises : la dissolution des groupes Kop of Boulogne et Virage Auteuil est décidée tandis que le placement aléatoire dans les virages est mis en place. Plusieurs centaines d’interdictions de stade (IDS) sont prononcées dans le cadre de ce plan qui marque ainsi réellement le début de la répression contre les groupes ultras.
Celle-ci va s’accentuer en 2011 avec la promulgation de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure permettant un renforcement des sanctions. Des Interdictions Administratives de Stade vont être distribué à la pelle, cette mesure ayant été allongé de 6 à 12 mois. L’ADAJIS (association de défense et d’assistance juridique des intérêts des supporters), créée par d’anciens ultras parisiens va vivement critiquer ces pratiques et contribue encore aujourd’hui à lutter contre la répression illégale pratiquée à l’heure actuelle par les autorités.
Les ultras sont actuellement dans une impasse, les interdictions de déplacement s’accumulant. L’an passé, la Brigade Loire (FC Nantes) a vivement critiqué l’une d’elle avec une vidéo postée sur les réseaux sociaux. Si certaines actions persistent (déploiement de banderoles, contres-parcages, recours administratifs entre autres) certains supporters abandonnent leur bataille. Cette année, s’ils seront toujours nombreux à suivre leur équipe, il est aisé de constater une baisse des cartages et une certaine résignation de certains leaders vis-à-vis de la répression pratiquée par les autorités. Ainsi, Christophe Uldry, capo emblématique du Virage Auteuil, lassé par 5 ans de combat sans issue, a pris la décision de ne pas rejoindre le Collectif Ultras Paris, fondé en 2016.
Connu pour avoir passé 20 ans au Parc des Princes, Uldry s’est distingué en Février dernier pour avoir attaqué le Paris Saint Germain en justice. La raison du litige ? Le club souhaite s’approprier le slogan “Ici c’est Paris”, propriété des Ultras. Dans les colonnes de SoFoot, celui qui a connu les plus beaux comme les pires instants du club n’en fait pas une histoire de gros sous. “C’est une question de principe, l’argent on s’en fout et si on en récupère, il ira à une association caritative”.
Par la suite, le Collectif Ultras Paris va immédiatement mettre en place des actions fédératrices, notamment l’encouragement des féminines pour le plus grand bonheur des joueuses. D’autres évènements, caritatifs, sont mis en place. C’est d’ailleurs une autre face méconnue des ultras : ces derniers s’investissent beaucoup dans des oeuvres humanitaires comme des collectes de fonds, vêtements, nourriture ou organisation de matchs de charité. Avec l’aide de l’ADAJIS, ce collectif revendique plus de 1000 membres (ce nombre pourrait augmenter rapidement une fois la campagne d’adhésions relancée) ayant pour objectif commun le retour des ultras au Parc des Princes et la démission de son directeur de la sécurité, Jean Philippe d’Hallavillée. Début septembre une victoire significative est enlevée par certains supporters, dédommagés après avoir vus leur places annulées “sans raison significative”.
Le cas du Paris Saint Germain est donc, vous l’aurez compris, bien particulier. Outre la décision favorable du tribunal de grande instance du XVIème, de nouveaux éléments viennent relancer le débat. Le CUP se multiplie dans des actions caritatives et reçoit des soutiens de poids. Michel Denisot, ancien président du Paris Saint Germain remerciait sur Twitter le Collectif pour son action à Monaco, tandis que Michel Montana -speaker historique du Parc- déclarait qu’il “aimerait que les ultras reviennent” dans les colonnes du Parisien. Dans SoFoot, c’est Edinson Cavani, régulièrement sifflé par le public actuel, qui s’exprimait en s’appuyant sur des images d’archives “j’ai vu des vidéos du Parc des Princes il y’a 20 ans, ça c’était de la passion !”. Enfin, le 9 septembre, les Ultras stéphanois publiaient un communiqué pour informer de la poursuite de leur boycott du prince des stades. Saint-Etienne reste l’un des principaux soutiens aux Ultras Parisiens, en témoignent les banderoles déployées le 31 janvier dernier lors de la réception du club de la capitale.
Chez les Magics Fans, plusieurs messages sont passés tout au long du match, du traditionnel “Liberté pour les Ultras”, au très engagé “Argent sale accepté, libertés bafouées, classes populaires écartées, bienvenue au PSG.” Du coté des Green Angels s’affichaient fièrement “notre passion est plus forte que leur répression” mais surtout “Pas de libertés, pas de dialogue, plus de juge indépendant : c’est “Larrivé” de la dictature”, en référence à la Loi Larrivé, nouveau facteur de répression. Ce texte permet aux clubs de refuser la vente de billets à des supporters qui ne sont pas IDS. Le fichage des spectateurs est lui aussi légalisé par cette loi, dans laquelle l’on recherche toujours des principes démocratiques.De plus, la durée de l’interdiction administrative de stade pourra passer d’un à deux ans et même jusqu’à trois ans en cas de récidive (deux ans jusqu’alors).
Sanctionnés d’une amende de 25 000 euros par la LFP, à l’époque dirigée par le pantin du foot business Frederic Thiriez, les Foréziens n’ont pas tardé à réagir. “Si la liberté d’expression coûte 25000€ … où est passée la France de Charlie ?” pouvait-on lire dans le parcage stéphanois à Angers quelques semaines plus tard.
Le cas Parisiens est donc aussi bien complexe que flou. Si des rumeurs de négociations avaient circulé durant l’été, les représentants du Collectif Ultras les avaient immédiatement balayé. Pourtant, ces historiques sont prêts à faire des concessions, à créer autre chose pour redonner de la ferveur au Parc des Princes.
Alors comme le chantait si bien Gérard Blanc “On démarre une autre histoire” ne pourrait-il pas être le tube de l’année au Paris Saint Germain ? Peu probable, étant donné que pour entendre cela il faut écouter Nostalgie, or de la nostalgie Monsieur d’Hallavillée ne semble pas en posséder… À Nasser Al Khelaifi de prendre ses responsabilités en reprenant le dossier en main, car contrairement aux idées reçues, ce dernier serait assez préoccupé par le déficit d’ambiance porte d’auteuil. Le dernier tacle de David Luiz, parti a Chelsea contribuera t-il à changer la donne ? « Ce que je retiens de la Ligue 1 en général c’est de très beaux stades avec de très belles ambiances. Le stade vélodrome m’a marqué, je suis à Chelsea maintenant je peux le dire» avait déclaré à son arrivée à Londres celui qui tentait régulièrement d’haranguer les tribunes du Parc.
Et les acteurs ?
Plusieurs observateurs, dirigeants ou joueurs de football ont pris position sur le sujet, les avis sont variés.
Laywin Kurzawa, défenseur de l’Equipe de France et du Paris SG déclarait en mars 2016 au Canal Football club “Avec les Ultras, je pense que ça serait un petit peu mieux. Quand on est footballeur, on a besoin de ferveur et d’avoir le douzième homme derrière nous. Mais c’est compliqué avec ce qu’il y a eu auparavant. J’aimerais bien avoir plus d’ambiance. » Des propos en accords avec ceux de deux anciens joueurs du club, Jérôme Leroy et Jérôme Rothen , respectivement sur l’Equipe 21 (octobre 2015) et Yahoo Sports (septembre 2015).
Pour Leroy, “il y a deux PSG. Il n’y a pas d’anciens joueurs dans le PSG actuel des qataris. Ça me dérange un peu, c’est un nouveau club. Il n’y a plus l’histoire du PSG. Il n’y a pas d’âme.”
Rothen, lui, se montrait encore plus amer, “Je vais au Parc des Princes pour presque tous les matches. J’ai connu l’ambiance d’avant et aujourd’hui il n’y a plus d’ambiance. Il fallait prendre des sanctions. Ça a été des sanctions radicales parce qu’il n’y a plus aucun supporter aujourd’hui au Parc des Princes. Je vais au Parc depuis l’âge de 4 ans. J’ai vécu des ambiances exceptionnelles. Aujourd’hui zéro. Il y a des supporters, oui si c’est juste pour applaudir la belle action… Mais le football est un spectacle. C’est essayer de gagner le match et vivre une atmosphère exceptionnelle.” Effectivement, l’atmosphère du Parc des Princes, n’avait rien à voir avec l’état actuel du stade, Fabrice Fiorèse s’en souvient.
En revanche, les journalistes Julien Cazarre et Pascal Praud semblent d’un avis contraire. Sur France Bleu (octobre 2015), l’humoriste de Canal Plus se souvient “Ce qui s’est passé au PSG pendant les années de plomb, c’est une hérésie. Plus un club est bas, plus il appartient à ses supporters. C’était hardcore. Et je sais de quoi je parle, j’étais dans ces tribunes”.
Sur Yahoo (septembre 2015), Pascal Praud quand à lui faisait preuve d’un point de vue étonnant, “Les ultras sont à l’origine de beaucoup de débordements dans les stades. Depuis que le placement est aléatoire au Parc des Princes et depuis que les groupes de supporters ont été dissous, il n’y a plus de soucis dans ce stade. Le mouvement ultra porte en lui-même la violence. Dire qu’il n’y a plus d’ambiance au Parc est incroyable. Elle est au contraire formidable. On peut y aller en famille pour voir un formidable spectacle. C’est merveilleux.”
Grand supporter Paris SG, Daniel Riolo journaliste pour RMC et BFMTV se prononçait en juin 2014 pour Lyon Capitale expliquant que “les supporters sont utiles dans les tribunes, mais il ne faut pas les acheter, il ne faut pas raconter de conneries non plus. Un ultra est par essence indépendant, violent. Tous les groupes d’ultras ont des noms guerriers, mais les clubs ont besoin d’eux, ils essaient de les récupérer. Je suis pour qu’ils existent, pour qu’ils supportent mais sans les débordements. Ils sont utiles à la culture foot. Les ultras sont extrémistes mais je ne les combats pas, leur mouvement me plaît.”
Alors entraineur de Lorient, Christian Gourcuff avait eu le verbe acerbe dans les colonnes de Ouest France en septembre 2013 au moment d’évoquer les ultras des merlus. “Ces gens-là ne vivent que pour la victoire, au travers d’un besoin de reconnaissance. Ils n’aiment pas le foot. Ils l’utilisent parce que c’est médiatique. Ils s’en servent pour exister. Pour moi, un supporter souffre avec nous dans les moments douloureux et ils sont heureux dans les moments de joie. Les gens estiment que le sport a besoin de supporters mais ça n’est pas vrai. Ce dont nous avons besoin, c’est de partager des émotions, heureuses ou malheureuses.”
En plus de scinder l’opinion, les ultras divisent donc également les acteurs du monde du football.
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Le Collectif Ultras paris à Troyes la saison passée lors du match ESTAC-Angers. Le Stade de l’Aube comme unique lieu d’expression. |
Ambiances et mentalités
“Quand je rentrais sur la pelouse et que j’entendais ces gens crier mon nom, je me disais qu’il était impossible pour moi de ne pas marquer”
“De nombreux groupes sont donc implantés durablement dans la culture footballistique française. L’ambiance la plus impressionnante et la plus chaude est sans conteste celle du Parc des Princes, ante Leproux, du fait de l’architecture du stade et des deux virages, Auteuil et Boulogne. Au crépuscule de sa carrière, Ronaldinho rendra un dernier hommage aux ultras de la capitale “J’ai beaucoup apprécié les supporters parisiens, ils me manquent beaucoup… J’ai joué dans des équipes très populaires, le Barça, Milan, Grêmio, Flamengo mais jouer au Parc des Princes c’était… Wahouh… Inoubliable…” Dans le documentaire “Le Parc”, Pauleta s’exprimait également avec nostalgie ” quand je rentrais sur la pelouse et que j’entendais ces gens crier mon nom, je me disais qu’il était impossible pour moi de ne pas marquer.”
Si la suprématie du Parc dans ce domaine ne fait pas de doute -pour les joueurs comme pour les observateurs- difficile de trouver un dauphin au prince des stades. Trois équipes se distinguent avec Saint Etienne (Magics Fans, Green Angels), Marseille (South Winner, Commando Ultra) et Lens (Red Tigers, Kop Sang et Or).
Chez les verts, ce n’est pas pour rien que Geoffroy Guichard est surnommé “le Chaudron”. Comme vu par ailleurs, ils sont très impliqués dans l’opposition au foot business et militent pour une affluence populaire.
Marseille, personne n’y vit mieux le Football en France. Très populaires, les ultras connaissent néanmoins une période compliquée, le club n’obtenant pas les résultats espérés. Certains, excédés par la gestion Labrune-MLD ont boycottés ou mis en place des actions fortes en signe de contestation, au détriment de l’ambiance. L’image des joueurs phocéens caricaturé en chèvres le 10 avril dernier aura eu le mérite de faire sourire le football français. A l’instar de Paris, les ultras marseillais ne sont malheureusement pas connus pour leur seuls animations en tribune et la chaude ambiance de leur stade. Régulièrement, ils défrayent la chronique pour des faits de violence ou d’injures. Dernière grosse polémique, celle de la pendaison du “traitre” Matthieu Valbuena, lors de la réception de Lyon le 20 septembre 2015 et un arrêt de 20 minutes pour jets de projectiles sur la pelouse. Les affaires Mirassiera (2008) et OM-Shaktar (2009) restent également ancrées dans les mémoires. Très nombreuses, les associations de supporters ont la main-mise sur la gestion des abonnements en tribune, disposant ainsi d’un pouvoir important.
En septembre 2015, Laurent Nunez préfet des Bouches du Rhône avait agité le spectre parisien au dessus des ultras marseillais “on peut aller jusqu’à la dissolution”, appuyant les propos tenus par Vincent Labrune quelques jours plus tôt sur RMC “On a une majorité de supporters qui sont fantastiques. Mais c’est vrai qu’il y a une dizaine d’énergumènes qui nous posent des problèmes depuis quelques mois.”
Le cas Lensois est assez extraordinaire, avec une ferveur à toute épreuve. Fanatiques de leur club, les nordistes revendiquent la meilleure ambiance de l’hexagone. Il faut dire que sur la saison 2015-16, le Stade Bollaert détient la 6ème affluence de France, épatant pour un club de Ligue 2 (26 393 de moyenne). De plus “Les Corons” de Pierre Bachelet, chanté à chaque mi-temps, est devenu une référence en matière d’hymne et d’amour d’un club. Lié à l’histoire de la mine, le stade Bollaert fut construit dans les années trente par 180 mineurs aux chômages. Depuis, la tradition d’amour au club perdure de père en fils avec des valeurs communes, la solidarité, la passion et le coeur. Quel que soit le résultat, les Lensois chantent en permanence et impossible d’oublier le traditionnel clapping synonyme de performance réussie.
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RC Lens |
Lyon (Bad Gones), Nantes (Brigade Loire), Guingamp (Red Kop), Nice (Ultras Populaire Sud) et Montpellier (Butte Paillade) restent également des places fortes du mouvement ultra avec des groupes bien structurés.
Au sujet des lyonnais, Sergi Darder avait déclaré qu’il “n’avait jamais une telle ambiance dans un stade, même en Espagne”. Il faut dire que les ultras lyonnais peuvent se targuer d’avoir obtenu le soutien de leur président. En Mai 2016, Jean-Michel Aulas tenait en effet ces propos sur le site Olympique-et-Lyonnais : Ma politique avec les Ultras ? Il faut travailler avec eux, et depuis plus de 30 ans, on a une relation formidable. Elle est faite d’échanges, de confiance, de réunions qui sont organisées dans les bonnes comme dans les mauvaises périodes, afin d’échanger. Que ce soit pour les Bad Gones que pour les autres groupes de supporters. Ils ont l’opportunité de montrer qu’ils existent, qu’ils sont la flamme de ce stade, mais aussi d’apporter l’animation qui est nécessaire dans cette enceinte de 59.000 personnes.
A Nice, les supporters ont effrayé la chronique en Février 2016 après l’apparition d’un tifos BSN (Brigade Sud Nice) en hommage à une association historique dissoute en 2010 pour faits de violence avérés. Résultat, serrage de vis, interpellations et perquisitions, en plein état d’urgence les forces de police n’avaient elle pas mieux à faire ? Toujours est-ils que les ultras niçois peuvent se targuer d’avoir dans leur “rangs” un supporter un peu particulier, Alexy Bosetti, joueur de l’effectif professionnel et inconditionnel des Aiglons. Régulièrement (quand il est présent à Nice, il était prêté l’an dernier), le champion du monde U20, lance les chants en fin de match et donne son maillot aux autres supporters, permettant d’exhiber des tatouages représentatifs de la culture ultra.
Interrogé par Le Temps en 2015, le numéro 23 expliquait « En fait, explique-t-il, la passion du foot et la culture ultra, ce sont deux choses différentes. L’ultra, ce qu’il aime, c’est presque plus l’ambiance dans le stade, les déplacements en car avec les potes, dans les stades adverses, que ce qui se passe sur le terrain. Quand vous vous faites un Sochaux-Nice en car le week-end, ce n’est pas forcément pour la beauté du jeu… On n’est pas le Barça, mais on est fier de défendre notre club et de montrer les couleurs.» Dans son entrevue avec Lyon Capitale en 2014, Daniel Riolo évoquait le jeune attaquant “À Nice, un joueur comme Alexy Bosetti, proche des ultras de la Brigade Sud, est certes sympathique mais il a juste des tatouages de bandits et de politiciens véreux.”
L’est de la France avec les Joy Riders de Sochaux ou à Metz et Strasbourg est également bien représenté.
Difficile d’oublier les Ultramarines (Bordeaux) ou le Roazhon Celtic Kop (Rennes), Perry Boys (Red Star) et les Dogues Virage Est (Lille), bien ancrés dans la culture ultra.
Les deux dernières saisons des Girondins de Bordeaux nous ont d’ailleurs offert un exemple parfait de contestation interne. En mai 2015, une altercation éclate entre des ultras bordelais et plusieurs joueurs girondins, principalement Jérôme Prior et Thomas Touré. Ces derniers n’auraient pas apprécié des reproches sur le manque d’implication de l’équipe alors dirigée par Willy Sagnol. La situation va ensuite progressivement se dégrader entre les supporters et le club, si bien qu’en décembre 2015 les Ultramarines rencontrent Jean Louis Triaud. Selon Sud-Ouest, ils évoquent alors durant quatre heures les différents problèmes, de l’entraineur Sagnol, au capitaine Sanné en passant par des demandes de recrutement.
Trois jours plus tard, les ultras décident de boycotter leur habituel virage sud lors de la réception de Guingamp, se contentant de déployer des banderoles sur les sièges vides. Il n’était donc pas difficile d’apercevoir les deux messages principaux « Soyez enfin dignes de l’institution FCGB”et “Joueurs sans fierté, virage Sud déserté”.
Une semaine auparavant, les Ultramarines avaient quitté le stade dix minutes plus tôt, lors de la fessée infligée par Caen (1-4, 29 novembre 2015). “Ce n’est pas facile de chanter un soir de déroute mais nous l’avons fait. Au quatrième but, la farce était terminé, alors nous sommes partis. À un moment, il faut un électrochoc” déclarait Laurent Perpigna dans une interview à Sud-Ouest. Les fans bordelais vont donc être exaucés avec le limogeage de Willy Sagnol en mars 2016. Son remplaçant, l’ancien gardien Ulrich Ramé se contentera de finir la saison n’étant pas reconduit pour une durée plus importante et ce malgré le soutien des…supporters. Cette situation prouve qu’un groupe ultra peut exercer une certaine pression et influence sur le club, sans pour autant obtenir le dernier mot à chaque revendication.
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La Tribune Loire, une des plus belles ambiances de France. |
La rivalité OL-ASSE
La rivalité entre supporters de clubs adversaires, ou parfois même au sein d’un même club est monnaie courante. Aussi, nous parlerons de l’opposition historique entre les ultras stéphanois et les ultras lyonnais, bien plus importante que cette pseudo rivalité OM-PSG créée de toute pièce par Canal pour faire de l’audimat.
Entre Saint-Etienne, l’ouvrière et Lyon, la bourgeoise, la rivalité est tout d’abord sociale, du moins dans la tradition. C’est cette raison, avec la proximité géographique, qui crée le derby tant attendu chaque année. Si chacune des équipes eu son heure de gloire dans le football français, elles semblent aujourd’hui à même de rivaliser l’une avec l’autre dans des matchs à suspense et enjeux. Jets de fumigènes entre les deux parties (2007) , banderoles insultantes (systématiquement) , vols de bâches (2013) : les supporters lyonnais et stéphanois n’ont qu’un seul objectif : remporter le match des tribunes.
Du côté de Lyon, la plus violente reste “Les Gones inventaient le cinéma quand vos pères crevaient dans les mines”. Les rhodaniens avaient poursuivi en ce sens à l’inauguration du tramway stéphanois “Un tramway fait votre fierté ? Ça vous change des charriots de la mine !”.
D’autres restent en mémoires comme le très sympathique « Stoppez les essais nucléaires à Mururoa… Faites-les à Saint-Étienne », ainsi que “En 76, c’est vos pieds qui étaient carrés” en référence à la finale perdue par l’ASSE en C1.
Chez les stéphanois, la palme revient au tifo géant représentant les Lyonnais caricaturés en animaux de la savane avec la mention «La chasse est ouverte, tuez-les». Les Magics Fans ont été poursuivis en justice pour cette banderole. Les ultras de l’ASSE avaient sortis “Il y a 30 ans, vos pères chantaient Allez les Verts”, en réponse à l’affaire des mines, puis le jeu de mots« Lyon ville lumière, Tous des gueules d’ampoules »Et enfin « Certains ont le bras long, nous on a la main verte » caricaturant Jean Michel Aulas
En 2013, des Ultras lyonnais font irruption devant le domicile d’un des leaders des Magics Fans et lui dérobent le symbole du groupe, une partie de la bâche. Cet affront n’aura fait que renforcer la mauvaise réputation du virage sud lyonnais, principale tribune à problèmes du pays. D’autres événements ont défrayé la chronique comme l’affaire Joël Bats. En 2013 le légendaire portier, entraineur des gardiens à Lyon, accroche une écharpe lyonnaise dans les buts stéphanois, acte comparable au fait de jeter une allumette dans une pinède.
Finalement, si les groupes ultras des deux clubs sont des références en terme d’ambiance, d’animations, de soutien et de ferveur, leur rivalité historique dessert chaque année un peu plus la liberté de leur cause et de leur mouvement. Si les tensions ne baissent pas d’un cran dans les prochaines saisons, si les messages discriminatoires ou injurieux perdurent, si les actes de vendetta ou de minorités violentes ne cessent pas, des mesures doivent être envisager, non pas pour pacifier les enceintes (les violences entre les supporters des deux clubs ne se déroulant pas à l’intérieur du stade) mais pour instaurer un climat plus saint, pour quitter cette situation de “bombe à retardement“.
Amitiés
Si les groupes sont souvent rivaux (mais unis face à la répression), d’autres nouent de belles amitiés. C’est le cas des Magic Fans, piliers de Geoffroy Guichard et des Ultramarines du virage sud bordelais. Cette union est datée de 1992 et un tournoi inter-supporter ayant eu lieu à Bordeaux. En 2005, une banderole est déployée par les Magic lors d’un ASSE-FCGB « Ultras, Magic : une fraternité unique pour une amitié historique ». La Brigade Loire de Nantes et les Dogues Virages Est de Lille nouent également une affinité, ayant fait résistance commune à la répression pratiquée sur les ultras nantais en déplacement dans le Nord. Le 14 septembre 2014, barrés par une politique extrême concernant les fouilles et l’accès au parcage visiteur, les Nantais sont accueillis dans la tribune nord de Pierre Mauroy. Plusieurs chants contestataires seront lancés.
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Le tifo coloré des Ultrasmarines bordelais lors de Bordeaux – Saint-Etienne. |
A la fin des années 1990, c’est à Nice que se crée une autre union, celle de la Brigade Sud Nice avec les Dogues Virage Est du LOSC.
Aujourd’hui
Le mouvement ultra français connait donc une histoire contrastée depuis son développement dans les années 1980. Impliqués dans la vie de leur club, certains représentent une forme de “contre-pouvoir” vis à vis de la direction. Ils négocient les abonnements, critiquent ou approuvent les choix des dirigeants et se taillent une part belle dans l’histoire de leur club. De belles histoires perdurent mais si ceux-ci font parfois l’actualité, c’est plus souvent pour des questions liées à la sécurité que pour ambiance et bonne humeur. Si les ultras ne sont pas exempts de tout reproche et que certains comportements sont à bannir, il est grand temps de déconstruire les nombreux amalgames réducteurs usités par le grand public.
Méconnus et diabolisés, les ultras sont-ils une espèce en voie de disparition ?